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Ce numéro du journal Anabaptist Witness contient mon article « Enfants sacrés et subsides coloniaux chez les missionnaires des Frères mennonites : La manifestation de la séparation raciale au Congo belge, 1946-1959 ». Une version anglaise de cet article a été publiée dans le journal Missiology : An International Review[1]. La traduction française, comportant de légères différences de formulation et de contenu par rapport à la version anglaise, est publiée avec la permission de SAGE Publishing.

Peu après la parution de la version anglaise en avril 2018, j’ai commencé à recevoir des réactions de la part des lecteurs. Parmi eux se trouvaient des Congolais et des Nord-Américains, des universitaires et des personnes n’appartenant pas au milieu académique, des anciens élèves et des enseignants de l’École Belle Vue ainsi que des personnes ayant interagi avec eux. Certains ont exprimé des réactions assez critiques, tandis que d’autres ont accueilli favorablement les conclusions présentées dans l’article. J’ai eu le privilège de pouvoir échanger avec la plupart d’entre eux, et nous avons pu arriver, lors de ces conversations, à un meilleur niveau de compréhension mutuelle. Ces échanges m’ont amenée à réfléchir davantage au problème de la représentation exacte des faits historiques et à la difficulté d’aborder des questions touchant à la race, au pouvoir et au privilège. J’aimerais donc faire ici quelques observations pour orienter ceux qui n’ont pas encore lu cet article, en complément à la publication de la version française. J’avais choisi d’omettre ce genre de réflexion dans la version anglaise en raison du caractère scientifique du journal dans lequel elle a paru, mais je crois que l’absence de ces informations a pu rendre l’article plus difficile à digérer pour certains, et je regrette la peine que cela a pu causer.

Premièrement, j’aimerais préciser davantage mes propres allégeances et identités. Je suis enfant de missionnaire, blanche, Mennonite, et j’ai fréquenté une école comparable avec l’École Belle Vue, mais en Papouasie Nouvelle-Guinée. De façon générale, je suis favorable à la mission chrétienne, et cette recherche n’est pas motivée par l’hostilité vis-à-vis de la mission, ni vis-à-vis des missionnaires.

Deuxièmement, j’aimerais situer cette recherche dans un contexte plus large. Cet article présente des recherches préliminaires autour d’un thème qui sera le sujet de ma thèse de doctorat. Dans ma thèse, j’examinerai les implications politiques de l’identité transnationale de l’Église. Je retracerai la manifestation de conceptions concurrentes de l’Église parmi les Mennonites au Congo au cours du XXe siècle – qu’il s’agisse de représentants nord-américains de deux sociétés missionnaires mennonites (Africa Inter-Mennonite Mission [AIMM] et MB Mission), ou de Congolais devenus membres de l’Église sous l’égide des efforts missionnaires. J’utiliserai une méthodologie historique pour examiner de près cette rencontre entre missionnaires mennonites expatriés et croyants congolais, afin d’identifier les changements importants dans la conception de l’Église exprimée par les différentes parties prenantes et de retracer le processus de négociation et de contestation qui a accompagné ces changements. En d’autres termes, j’examine la question suivante : ‘Comment, dans le contexte de la rencontre entre Congolais et missionnaires expatriés, l’évolution de la conception de l’Église fut-elle exprimée dans le discours et dans la pratique quotidiens, et quelles ont été les conséquences sociales et politiques de cette évolution?’

Dans ma thèse, les questions de la séparation raciale et de la scolarisation des enfants des missionnaires feront partie d’un récit historique plus large – celui de la rencontre entre Congolais et missionnaires expatriés, qui a ensuite influencé le parcours des communautés mennonites et Frères mennonites au Congo. Dans ce récit, je saisirai les occasions qui se présentent de souligner des exemples d’étroites relations interculturelles, des moments où les missionnaires expatriés résistèrent à la collaboration avec la domination coloniale, et de montrer de quelle façon les Mennonites congolais et nord-américains au Congo sont restés fidèles à leurs convictions d’Église de croyants.

Enfin, j’aimerais souligner ce que je ne dis pas dans l’article.

  1. Je ne formule pas d’affirmations spécifiques concernant le racisme dans cet article. Mes propos se concentrent sur la séparation raciale, le pouvoir, et le privilège. Ce que j’essaie d’examiner, c’est comment la séparation raciale, qui coïncide souvent avec la séparation culturelle, se manifeste de façon concrète dans un contexte colonial qui, lui, repose incontestablement sur une hiérarchie raciale. Les missionnaires, qui de manière générale sont de bonnes personnes ayant de bonnes intentions et qui sont là pour partager la bonne nouvelle, implanter des Églises et soulager la souffrance, le font dans un contexte colonial où le gouvernement est impliqué dans l’extraction des ressources et règne en maître sur la population locale. La question qui m’intéresse est la suivante : ‘Comment les missionnaires blancs, qui aiment sincèrement les autres, interagissent-ils avec la hiérarchie raciale qui existe au Congo belge ?’ Je constate qu’ils acceptent parfois certains des privilèges qui leur sont offerts simplement en vertu de leur peau blanche, qu’ils bénéficient de leur privilège de Blancs quant à la la scolarisation de leurs enfants, et que cela a un impact sur certaines de leurs convictions concernant la relation entre l’Église et l’État, ce qui conduit à un changement subtil dans leur ecclésiologie.
  2. Je ne nie pas l’existence d’innombrables relations fraternelles profondes qui se sont nouées entre croyants Congolais et missionnaires nord-américains, ou entre leurs enfants. Le problème est comment rendre hommage à l’authenticité et à la profondeur de ces relations sans éluder la question du pouvoir. Il y a plusieurs années, j’ai eu une conversation douloureuse à ce sujet avec une amie. Il s’agissait d’une femme noire canadienne. Elle a écouté ce que j’ai raconté de mon amour profond pour certains amis de Papouasie Nouvelle-Guinée dans le village où j’avais grandi. J’ai décrit certaines personnes comme étant « ma grand-mère » ou « mon oncle », car les habitants du village avaient invité notre famille à utiliser ces termes de parenté. Mon amie a remis en question mon utilisation de cette terminologie, en disant quelque-chose du style « Tu sais bien qu’elle n’est pas vraiment ta grand-mère » et en indiquant que d’une certaine façon, je ne faisais pas vraiment partie de cette communauté. Pendant des années, j’ai été peinée et fâchée en repensant à cette conversation. Comment cette amie pouvait-elle mettre de côté, avec une telle insensibilité, les relations que j’avais tissées avec ma famille de Papouasie Nouvelle-Guinée? Est-ce que le fait d’avoir des parents jamaïcains lui donnait le droit de juger de mon interprétation des structures de parenté dans le Pacifique-Sud? Pour qui se prenait-elle en contestant ainsi la profondeur de mes relations interculturelles? Ce n’est que depuis quelques années que j’ai osé réviser mon interprétation de ses propos. Bien que je ne sache pas exactement quelles étaient ses intentions en formulant ces commentaires, je suis presque certaine que, d’une certaine manière, elle voulait m’encourager à ne pas passer toute ma vie, en tant qu’enfant de missionnaire devenue adulte, à ignorer le privilège que je détiens en partie grâce à la couleur de ma peau. Il fallait que j’admette que ce genre de privilège avait affecté mes relations avec mes amis de Papouasie Nouvelle-Guinée d’une façon que je n’étais – et ne suis! – pas toujours prête à reconnaître. Ma thèse fera valoir des exemples de communication ouverte et de relations interculturelles étroites, mais le but de cet article en particulier était de mettre l’accent sur la façon dont le privilège des Blancs à influencé ces relations.
  3. Je ne nie pas le dilemme auquel les parents missionnaires étaient confrontés concernant la scolarisation de leurs enfants. Au contraire, je le reconnais comme un dilemme réel. Je ne suis pas sûre si j’aurais agi autrement que les parents missionnaires mennonites et Frères mennonites, qui ont collaboré pour administrer l’École Belle Vue. J’aurais souhaité que mes enfants fréquentent une école de qualité qui les prépare à la vie au pays d’origine. Mon argument central n’est pas que les parents missionnaires recherchaient une identité séparée, mais que le fait d’avoir une école séparée constituait, tout simplement, une manifestation d’identité séparée. Cette identité séparée s’alignait sur la couleur de la peau, même si ce n’était pas l’intention expresse des missionnaires. De plus, cette manifestation d’identité séparée a eu plusieurs impacts, ou effets, sur la relation entre Congolais et missionnaires nord-américains, sur leurs conceptions respectives de l’Église, et sur la décision des missionnaires d’accepter les subsides scolaires. Ayant moi-même bénéficié d’une excellente éducation dans une école comparable à Belle Vue, je suis convaincue que nous qui avons été formés dans de telles institutions avons le devoir d’entamer une réflexion sérieuse à ce sujet. Nous devons non seulement chercher à mieux comprendre comment et pourquoi ces écoles aient été créées, mais aussi à discerner l’impact de ces écoles sur la relation entre missionnaires expatriés et chrétiens locaux, ou entre missionnaires et gouvernements coloniaux. Un autre enfant de missionnaire devenu adulte, Jon Bonk, a exprimé un point de vue similaire dans son livre, Missions and money [La mission et l’argent]. Bonk affirme, « Il existe un manque de sensibilité critique singulier concernant l’impact des écoles pour enfants de missionnaires – qui sont souvent des enclaves exclusives de culture et de valeurs occidentales, des bastions de privilèges que les pauvres perçoivent seulement de l’extérieur – sur les enfants des missionnaires eux-mêmes, ainsi que sur les personnes dont ils étaient si soigneusement isolés. » Il continue, « Le bien-être psychologique et physique de la famille missionnaire fournit un ensemble d’arguments des plus puissants pour justifier la richesse et les privilèges dont jouissent les missionnaires occidentaux[2]. » Les paroles de Bonk m’interpellent.

Dans l’ensemble, je crois que les missionnaires mennonites nord-américains, ainsi que les croyants congolais, avaient de bonnes intentions, tout comme je crois avoir moi-même de bonnes intentions en soulevant les questions des subsides scolaires et de l’école pour enfants de missionnaires. Je ne fais pas de telles recherches pour blesser, ni pour culpabiliser qui que ce soit, mais parce que je suis profondément attachée à l’Église mondiale et universelle. C’est cet attachement qui me contraint à revisiter cette tranche d’histoire et ces questions, tout comme il a motivé les missionnaires et les Congolais à entrer en relation les uns avec les autres il y a tant d’années.

Je continue à recueillir des données pour ma thèse. Si vous êtes

  • un Congolais qui se souvient des interactions avec des missionnaires entre 1945 et 1980;
  • un missionnaire qui a servi avec AIMM ou MB Mission au Congo pendant cette même période; ou
  • l’enfant d’une telle personne (congolaise ou nord-américaine) qui garde des souvenirs de cette période,

j’aimerais m’entretenir avec vous. N’hésitez pas à communiquer avec moi en écrivant à anicka.fast@gmail.com.

[1] Anicka FAST, « Sacred Children and Colonial Subsidies: The Missionary Performance of Racial Separation in Belgian Congo, 1946-1959 », Missiology: An International Review, vol. 46, no 2 (2018): p. 124-36.

[2] Jonathan J. Bonk, Missions and Money: Affluence as a Missionary Problem — Revisited, Rev. and expanded ed., American Society of Missiology Series ; No. 15 (Maryknoll, NY: Orbis Books, 2006), 45.