La mission de Dieu et les partenariats mondiaux

Leçons du passé, pistes pour l’avenir

The Abstract

To read this article in English, click here. Para leer este artículo en español, haga clic aquí. La terreur et l’angoisse des citadins étaient palpables. Le conflit armé durait depuis plus d’un jour et d’une nuit avec des coups de feu réguliers, lorsque à 10 h 30, la première bombe à cylindre explosa. C’était le 2 mai […]

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Academic article by César García

Le Christ de Bojayá, Colombia. Photo: LWF/Kaisamari Hintikka.

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La terreur et l’angoisse des citadins étaient palpables1. Le conflit armé durait depuis plus d’un jour et d’une nuit avec des coups de feu réguliers, lorsque à 10 h 30, la première bombe à cylindre explosa. C’était le 2 mai 2002. La veille, la guérilla de gauche connue sous le nom de Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC-EP) avait attaqué le groupe paramilitaire d’extrême droite des Forces d’Autodéfense unies de Colombie (AUC), dans la ville de Bojayá. Les deux groupes armés étaient illégaux et luttaient pour le contrôle de ce territoire convoité pour ses richesses en ressources naturelles et parce que c’était un lieu de passage pour le trafic illicite d’armes et de drogues.

Bojayá se trouve dans le département du Chocó en Colombie, sur la côte nord du Pacifique. La population est en grande partie autochtone et afro-colombienne. La région connaît une longue histoire de violations des droits de l’homme et d’extrême pauvreté, tout en étant abandonnée par le gouvernement colombien.

L’église catholique est également présente à Bojayá depuis des siècles. C’est peut-être pour cette raison, que ce jour-là, les combats armés et les explosions, décidèrent environ 1 500 citadins à chercher refuge dans l’église, chez le prêtre et chez les augustines (religieuses).

À 1o h 45, la troisième bombe à cylindre torpilla le toit de l’église et explosa sur l’autel, faisant 119 morts et 98 blessés. Des enfants et des familles entières s›y étaient réfugiés. L’explosion a détruit les bras et les jambes du Christ en croix de l’église, ne laissant intact que le torse.

Dans toute la Colombie, cette image du Christ mutilé de Bojayá est devenue le symbole du massacre de 2002. Des années plus tard, en 2015, lors des négociations de paix entre les FARC et le gouvernement colombien, les dirigeants des FARC se rendirent dans la communauté de Bojayá et demandèrent pardon aux familles des victimes. Étonnamment, lors du plébiscite concernant l’accord de paix conclu entre le gouvernement et les FARC, 96 % des habitants de Bojayá ont voté pour la paix. En revanche, une faible majorité du pays – parmi lesquels de très nombreuses églises évangéliques, pentecôtistes et charismatiques – ont voté contre les accords. Le résultat a été un rejet au niveau national de l’accord de paix. Toutefois, peu de temps après, les accords ont été renégociés et finalement signés en novembre 2016.

En quoi cette histoire concerne t-elle la mission de Dieu et les partenariats mondiaux ? Je suggère que le massacre de Bojayá et le plébiscite qui a suivi peuvent nous offrir des leçons importantes sur les missions catholiques et évangéliques pentecôtistes de Colombie. Tirer des leçons d’un contexte spécifique tel que celui de la Colombie et de son passé, sera très instructif pour guider nos futurs efforts missionnaires.

Tout d’abord, je souhaite clarifier certains concepts qui, à mon avis, revêtent une importance primordiale, avant d’entrer dans les détails de ce que nous pouvons apprendre de cette histoire.

Mission

Par le terme mission, je me réfère à ce que l’Église est et à ce qu’elle fait pour témoigner de Jésus-Christ dans son ministère de réconciliation. Permettez-moi d’élargir cette définition.

Ce qu’est l’Église :

  • Elle estun avant-goût du règne de Dieu.
  • Elle n’a pas de message ; elle est le message.
  • L’Église en tant que message fait référence à sa présence. Cela signifie que toute mission qui n’est pas communautaire et interdépendante est faible.
  • La présence de l’Église entraîne l’annonce de l’évangile de Jésus-Christ par la parole tout autant que par les actes, facteurs de réconciliation.

Selon Genèse 12:1-3, le plan de Dieu de bénir toutes les nations de la terre se réalise par la création d’une nouvelle communauté. Cette nouvelle communauté développera une nouvelle éthique relationnelle qui sera déterminante pour montrer aux autres nations la volonté de Dieu pour l’humanité. Par conséquent, la mission de Dieu a besoin d’une nouvelle communauté qui pratique une nouvelle forme de relations (l’éthique) au sein d’un nouvel ordre du réel. Dans les Écritures, cette nouvelle forme de relations implique qu’elles soient enracinées dans la justice, la paix et l’égalité (culturelles, économiques, genrées ; voir Gal 3:28). La pratique de cette nouvelle éthique agira comme une force centripète qui incitera d’autres nations de la Terre à vouloir connaître Dieu. En tant que telle, la mission de Dieu requiert un nouveau peuple doté d’une nouvelle éthique contre-culturelle et alternative, affichant des valeurs politiques et sociales différentes de celles communément admises dans le contexte où vit ce nouveau peuple (Sermon sur la Montagne ; Luc 4:16 ss ; etc.).

Cette compréhension de la mission de Dieu contraste vivement avec les concepts inspirés par une mauvaise interprétation de la pensée évangélique piétiste, qui met l’accent sur (1) la mission accomplie par des individus qui voient le salut comme personnel et (2) une nouvelle vie qui culminera dans la vie éternelle dont ils jouiront personnellement après la mort.

Cependant, selon les théologiens évangéliques Brad Harper et Paul Metzger, l’identité de l’Église « est elle-même communautaire et relationnelle. Cette identité découle du Dieu trinitaire dont les trois personnes divines sont en communion, et qui l’a créé pour la communion »2. Cette identité communautaire et relationnelle doit refléter la forme d’unité de la Trinité. C’est dans la communion de l’Église – amour, renoncement, pardon et service – que le monde peut voir la communion et le caractère de Dieu. C’est une des raisons pour lesquelles les divisions, le manque de confiance, les luttes de pouvoir et l’autoritarisme sont un scandale et contredisent notre témoignage du Christ.

Cela nous amène à la définition d’un autre terme de la plus haute importance pour la réflexion d’aujourd’hui : le partenariat.

Le partenariat

Nos sociétés ont désespérément besoin d’alternatives à la violence et à l’animosité. Chaque personne aspire à voir des exemples palpables de réconciliation, d’amour et de pardon. Dans le monde entier, les nations désirent ardemment voir des communautés où les nationalismes sont vaincus, où l’amour est la caractéristique des relations, où le pardon est une pratique régulière, et où la réconciliation est une réalité vécue, montrant ainsi de manière viscérale et visible le Dieu en lequel nous croyons. Seules ces formes de communautés auront le droit d’être entendus dans des contextes de souffrance où chacun cherche de nouveaux paradigmes de paix et de justice. Selon le théologien catholique Gerhard Lohfink, « le véritable être du Christ ne peut briller que si l’Église rend visible l’alternative messianique et la nouvelle création eschatologique issue du Christ »3.

Pour cette raison, nous devons éviter la spécialisation et la fragmentation typiques de la modernité, et adopter des expériences pratiques et relationnelles de ministères holistiques qui honorent la spécialisation sans tomber dans la séparation. « Nous attendons avec impatience le jour où notre venue, notre espoir commun – le Seigneur Jésus – nous rendra un. Nous devons vivre aujourd’hui en vue de ce jour »4, déclarent Harper et Metzger. Il n’est pas nécessaire d’attendre la seconde venue du Christ pour expérimenter la communion et l’unité. En outre, nous sommes appelés à vivre en tant que nouvelle création afin d’exercer le ministère de la réconciliation. Ce ministère requiert une communauté qui vit déjà aujourd’hui à la lumière de ce qui sera. « Sinon », poursuivent Harper et Metzger, « nous continuerons à envoyer un message très clair au monde environnant et cynique, selon lequel l’Évangile de notre Dieu est impuissant à briser les divisions à l’intérieur son peuple »5. Il s’ensuit que « le partenariat n’est pas simplement une suggestion », mais le mandat de Dieu pour l’Église – la communauté de Dieu rachetée et réconciliée –, affirme Jon Lewis6, ancien président et PDG de Partners International, une organisation chrétienne à but non lucratif.

Par conséquent, j’utilise le terme ‘partenariat’ pour désigner le type de relation qui peut exister dans le peuple de Dieu lorsque nous travaillons ensemble de manière interdépendante à la mission de Dieu. Le partenariat exige une relation solide et un objectif commun favorisant des projets communs et le partage des ressources. Le partenariat joue un rôle fondamental dans la mission de réconciliation de Dieu lorsque nous prenons au sérieux l’interprétation du règne de Dieu présentée par John Driver. Selon John Driver, théologien mennonite et enseignant au niveau international, le règne de Dieu se manifeste à travers les formes concrètes que prend la vie parmi le peuple de Dieu, et c’est précisément au sein de ces relations que le royaume parfait devient réalité7. En fait, selon l’historien britannique des missions Andrew Walls, « la pleine stature du Christ n’est atteinte que par le rapprochement des différentes entités culturelles dans le corps du Christ. C’est seulement ‘ensemble’, et non séparément, que nous pourrons atteindre cette pleine stature »8. Par conséquent, les partenariats multiculturels sont au centre de la mission de Dieu.

Il y a quelques années, dans le cadre de la réunion du ‘Council of International Anabaptist Ministries’ (Conseil des ministères anabaptistes internationaux), j’ai mentionné l’appel à comprendre la mission – outre la réconciliation, l’évangélisation et le service – comme l’action de Dieu consistant à rassembler les divers fragments sociaux au sein d’un même corps, rendant réel ce que Paul décrit « comme la pleine stature du Christ »9. Un prêtre catholique et théologien ougandais, Emmanuel Katongole, nomme cet appel ‘Moment Éphésien’. Selon l’épître aux Éphésiens, le moment de révélation pour atteindre la stature complète du Christ se produit lorsque nous ne faisons qu’un avec des personnes de cultures différentes, nous aidant et nous enrichissant les uns les autres. Dans cet environnement multiculturel, nous voyons l’image complète du Christ.

Gardant ces deux concepts à l’esprit – mission et partenariat – retournons au contexte colombien pour tirer les leçons des expériences missionnaires. Ensuite, nous examinerons les leçons tirées des contextes africain et européen afin de proposer des pistes pour l’avenir.

Leçons du passé

Les missions catholiques et orthodoxes ont permis l’expansion du christianisme au cours de ses 1 500 premières années. Même si cette expansion s’est souvent faite dans le sillage de la colonisation, de l’agression et de la conquête par les armes, il est de la plus haute importance d’apprendre de ces missions, compte tenu de la courte histoire de la mission du mouvement anabaptiste. Dans le cas spécifique du massacre de Bojayá en Colombie, la réponse de la communauté catholique au plébiscite sur les accords de paix est très intéressante si on la compare à celle des églises nées des missions évangéliques/pentecôtistes. Compte tenu de ce que j’ai mentionné plus haut : la méthode et les moyens constituent le message, le tableau ci-dessous montre certaines différences de méthodologie missionnaire. Bien sûr, c’est une généralisation ; à l’évidence, il existe des nuances et des exceptions dans les différentes missions de chaque tradition.

Selon le théologien et missiologue latino-américain Samuel Escobar : « les ordres missionnaires catholiques traditionnels, tels que les franciscains ou les jésuites, sont supranationaux et constituent l’exemple le plus ancien et le plus développé [de modèles coopératifs], sur la base des vœux de pauvreté, de célibat et d’obéissance »10. Nous trouvons couramment ces modèles de mission dans les ordres monastiques opposant des systèmes structurels basés sur l’exploitation des pauvres et prêchant un évangile de vulnérabilité où Jésus s›identifie aux nécessiteux et partage leurs souffrances. Le crucifix brisé de Bojayá est une image manifeste du Dieu incarné qui est avec les pauvres, fait l’expérience de leur réalité et souffre avec eux.

À l’opposé de ce modèle, de nombreuses missions non catholiques sont venues en Amérique latine en position de force et disposant de grands moyens financiers. Très souvent, les missionnaires travaillant parmi les pauvres ont choisi de vivre dans des logements à l’écart de ceux qu›ils servaient. La croix vide parlait d’un Dieu de Gloire, distant et impassible, proche de certains groupes en termes de doctrine, tout en offrant à d’autres la prospérité économique. Ce modèle tendait à importer non seulement des théologies d’Amérique du Nord, mais également leur style liturgique et musical, et leur organisation religieuse. Malheureusement, la contextualisation du message était minimale.

Envoyés en communauté, les ordres monastiques transmettaient un message d’interdépendance et de service coopératif, qui demandait l’obéissance et la soumission mutuelle, la résolution des conflits, le pardon et la réconciliation. Dans ce modèle, le salut dépendait de la communauté. Les ordres catholiques ont montré de manière tangible que des personnes de différentes nationalités, classes économiques et niveaux sociaux pouvaient vivre et travailler ensemble grâce à l’Esprit de Dieu. D’autre part, les missions évangéliques et pentecôtistes, qui prêchaient un évangile de salut personnel et individuel, mettaient la vie communautaire au second rang. De par leur fragmentation et leur rivalité, certaines missions transmettaient le message qu’il était possible de travailler indépendamment les uns des autres, que l’obéissance n’était pas nécessaire et que la division était une option valable lors de désaccords.

Enfin, les missions catholiques n’étaient pas séparées en type de mission ou formes de service. Bien que certains ordres monastiques se soient spécialisés dans des ministères spécifiques, ils assumaient une variété de tâches liées à l’éducation, au développement communautaire et au soin des malades. Ils ont ainsi mis en place et en pratique des missions holistiques. En revanche, les différences missiologiques nord-américaines ont amené certaines organisations missionnaires à placer la proclamation de leur évangile individualiste avant le service social, et le salut de l’âme avant les besoins immédiats et contextuels.

La méthode missiologique des missions catholiques en Amérique latine transmet un message concret, de même que la méthode missionnaire évangélique ou pentecôtiste. Cela pourrait peut-être expliquer pourquoi de nombreuses églises non catholiques d’Amérique latine ont fini par adopter la culture de « l’empire »11, c’est-à-dire l’individualisme, le matérialisme et le consumérisme, ainsi qu’un leadership autoritaire. Le rejet du processus de paix, ainsi que l’alignement politique explicite des églises évangéliques sur l’extrême droite colombienne, constituent une preuve évidente de cette réalité. Un Dieu de gloire qui ne s’identifie pas avec les pauvres, qui demande une justice rétributive, dont le salut est seulement personnel, a uniquement des implications pour la vie après la mort, qui soutient le ministère de responsables autoritaires ne se soumettant à personne, est un Dieu très différent de celui du Christ brisé de Bojayá.

Soyons reconnaissant que, dans notre tradition anabaptiste, nous trouvions de nombreux exemples de missions solidaires avec le peuple, enracinées dans la communauté et profondément holistiques. Par souci de brièveté, je ne mentionnerai que deux de ces exemples.

L’Église mennonite du Kenya (KMC)

L’Église mennonite du Kenya (KMC) est le résultat de l’œuvre de renouveau du Saint-Esprit dans l’église mennonite de Tanzanie en 1942, quand les premiers prédicateurs mennonites sont arrivés de Tanzanie au Kenya. C’était un mouvement de renouveau d’Africains vers des Africains, qui avait commencé dans les zones rurales de l’ouest du Kenya et qui s’est ensuite déplacé vers les petites villes. Il se caractérisait par des expériences de miracles et de guérisons. En outre, il s’attaquait aux différences tribales et culturelles et aux tensions entre personnes de différentes classes sociales et niveaux d’éducation.

L’œuvre du Saint-Esprit a apporté l’unité, l’interdépendance et la confiance au sein du peuple de Dieu. L’évêque Philip Okeyo, de la KMC, a déclaré : « Lorsque la confiance s’instaure entre partenaires dans la mission, des résultats apparaissent très rapidement »12. Cela résume très bien le travail des organisations internationales qui se sont jointes à la KMC pour apporter un évangile holistique au Kenya. Des missionnaires de Eastern Mennonite Missions (EMM) ont accompagné le travail de secours et de développement du Comité central mennonite (MCC), ainsi que celui de Mennonite Economic Development Associates (MEDA) qui apporte un soutien aux entrepreneurs.

Aujourd’hui, 75 ans après (1942-2017), l’Église mennonite du Kenya, fruit d’une mission de l’Église tanzanienne, compte 12 000 membres répartis dans 145 paroisses et a implanté une Église en Ouganda, devenue à son tour membre de la Conférence Mondiale Mennonite (CMM) en 2017.

Ce modèle missiologique, qui met fortement l’accent sur les dons de l’Esprit et une identité anabaptiste-pentecôtiste claire, constitue une critique des mouvements modernes de réveil qui offrent la prospérité sans le renoncement, le pouvoir sans l’humilité, le salut sans le discipulat, et la joie sans le sacrifice. Dans la mission de l’Église de Tanzanie au Kenya, puis du Kenya en Ouganda, nous voyons un modèle de mission qui part de la base, où le Christ crucifié est à la fois la stratégie et le message, et où la dépendance à l’égard du Saint-Esprit conduit à des ministères de justice, de paix et de réconciliation. Il nous rappelle que l’évangile du salut du Nouveau Testament est basé sur une position de faiblesse socio-économique et politique plutôt que sur une position de richesse économique et de puissance humaine13. Ainsi que l’écrit le missiologue anabaptiste David A. Shank14, l’attitude missionnaire doit se définir de manière christologique par :

  • a) le renoncement à soi-même, comme condition préalable ;
  • b) le service, comme attitude ;
  • c) l’identification, comme risque;
  • d) l’humble obéissance, comme contradiction ;
  • e) la Croix, comme conséquence.

Le partenariat entre ministères des mennonites français et ceux des mennonites nord-américains

Selon David Neufeld, « De 1953 à 2003, la MMF (Mission Mennonite Française) et le MBMC (Mennonite Board of Missions après 1971) ont collaboré entre elles et avec divers autres partenaires, notamment le Comité Central Mennonite (MCC), pour développer une entreprise missionnaire commune. . . [qui a abouti à la création de trois assemblées locales mennonites dans la région parisienne, à la création de ministères en faveur des jeunes ayant des troubles du développement et de santé mentale, à la création de ministères pour les étudiants étrangers et pour les personnes ayant des besoins sociaux et spirituels, et à la création d’un centre d’études et de promotion de la théologie anabaptiste »15. Allen Koop, cité par David Neufeld, remarque dans son étude sur les missions évangéliques d’après-guerre en France, « qu’aucun projet missionnaire dans le pays au cours de la seconde moitié du vingtième siècle n’a encouragé une coopération aussi proche et aussi productive que celle des mennonites français et nord-américains. Aucune autre mission n’a réussi à combiner autant l’évangélisation et l’implantation de paroisses avec un travail social significatif. Aucune autre mission n’a démontré la même ouverture à la collaboration avec des groupes et des organisations externes, y compris l’État français. »16

Ce modèle illustre l’opportunité que des projets communs représentent pour rapprocher des groupes distants et les inviter à travailler ensemble. Cela requiert une interdépendance lors de la planification, de l’évaluation et de l’achèvement du projet, ce qui est en soi la marque d’un partenariat sain.

De plus, cette expérience révèle l’importance de structures organisationnelles solides qui aident à clarifier les rôles, à faciliter la communication et à formaliser les processus de responsabilisation. L’influence des donateurs et la source des fonds nécessaires au maintien d’une mission seraient un autre sujet instructif à explorer dans cette histoire, d’autant plus que la pratique des missionnaires catholiques consiste à faire bourse commune pour la gestion des fonds de la mission.

Pistes pour l’avenir

La théologie, l’ecclésiologie et la missiologie doivent être développées en tenant compte de l’objectif final. Dieu nous appelle à vivre la vérité, une nouvelle création qui reflète l’intention de Dieu pour le monde. Par conséquent, l’eschatologie est à l’origine de la missiologie.

Ainsi, la Conférence Mennonite Mondiale (CMM) souhaite réfléchir à l’intention de Dieu pour le peuple de Dieu, et à partir de là, construire sa structure d’Église mondiale et de pratique missionnaire. C’est cette vision qui nous pousse à promouvoir un travail interdépendant avec les organisations liées à nos Églises membres. À la CMM, nous aimerions voir se renforcer les relations et la coopération entre nos quelques 75 organisations missionnaires, 50 organisations d’aide, 30 organisations œuvrant pour la justice et la paix, 140 organisations de la santé et 130 institutions de l’enseignement. Malgré cela, nous avons rencontré les obstacles suivants :

  • Certaines organisations du Nord préfèrent considérer la CMM comme un événement où nous nous rencontrons pour échanger nos témoignages de vie. L’idée que nous puissions être une communion mondiale qui planifie et travaille ensemble sur des projets concrets fait un peu peur à certains.
  • • Certaines organisations du Nord privilégient l’efficacité par rapport à l’interdépendance. Cette dernière ralentit tout, à leur avis, et demande beaucoup de patience.
  • • Certaines organisations se font concurrence. La nécessité d’un soutien économique, et donc de donateurs, les amène à mettre en valeur leur propre travail et à dévaluer ce que font les autres.
  • • Certaines organisations manquent d’une théologie et d’un concept d’église et de communion mondiale. Elles ne voient pas la nécessité d’une église mondiale ; cela créée des difficultés pour que leurs missions soient interdépendantes et multiculturelles. Pour ces organisations, le règne de Dieu est limité à des assemblées locales et à des agences indépendantes qui n’ont pas besoin de communion avec d’autres.
  • • Certains responsables continuent à placer leur objectif d’augmentation du nombre avant leurs convictions anabaptistes et leurs relations au sein de notre communion.
  • • Certains responsables ignorent ou dévaluent les décisions de leurs prédécesseurs. Ils veulent commencer leurs ministères à partir de zéro, en ignorant ce que d’autres ont construit et apporté aux églises et aux ministères qu’ils aspirent maintenant à diriger.

Compte tenu de ce qui précède, je tiens à insister sur la nécessité de revenir à nos racines monastiques catholiques. Le monachisme a influencé notre mouvement anabaptiste à ses débuts17. Apprendre sincèrement du vœu de pauvreté peut nous aider à proposer un modèle de mission favorisant une vie simple comme le font déjà certaines de nos organisations anabaptistes.

Selon Samuel Escobar, « Avant toute formation ‘pratique’ – en vue de la mission – à l’utilisation de méthodes et d’outils pour la communication verbale d’un message, il est impératif de former des disciples à un nouveau style de présence missionnaire. La mission nécessite une orthopraxie et une orthodoxie… Ce modèle christologique qui était aussi le modèle que Paul et les autres apôtres ont utilisé pour leur propre pratique missionnaire pourrait être décrit comme la « mission d’en bas »18.

De même, prêter attention au vœu d’obéissance monastique pourrait nous aider à éviter le péché de division dans lequel nous, anabaptistes, sommes si facilement tombés au cours des siècles. Les pays du Sud, en particulier, ont besoin de nouveaux modèles de leadership, modèles de soumission les uns aux autres dans humilité qui n’acceptent pas la fragmentation comme un phénomène normal de la vie des églises. L’intention de Dieu pour l’humanité nous invite à envoyer des équipes missionnaires, ou « micro-communautés », avec des membres de différentes cultures, un style de vie similaire à ceux qu’ils cherchent à servir, joindre l’évangélisation et le travail pour la paix, le développement communautaire, s’occuper des malades et développer l’enseignement, et pratiquer le pardon et la réconciliation. C’est la seule manière de réussir à être le message de Dieu pour sa création.

Ma prière est que le Christ de Bojayá continue d’appeler l’Église de Dieu à la mission sacrificielle au service des plus nécessiteux, à une mission qui engendre des communautés de foi qui pratiquent quotidiennement le pardon et la réconciliation dans l’espoir vivant d’une nouvelle création.

Footnotes

1

César Garcia est secrétaire général de la Conférence Mennonite Mondiale. Cet article a été traduit par Sylvie Gudin.

2

Brad Harper et Paul Louis Metzger, Exploring Ecclesiology: An Evangelical and Ecumenical Introduction (Grand Rapids, MI: Brazos, 2009), 19.

3

Gerhard Lohfink, La iglesia que Jesús quería: Dimensión comunitaria de la fe cristiana, 4a. ed. (Bilbao: Desclée de Brouwer, 1986), 191–92.

4

Harper et Metzger, Exploring Ecclesiology, 35.

5

Harper et Metzger, 281.

6

Jon Lewis, “Servant Partnership: The Key to Success in Cross-Cultural Ministry Relationships,” dans Shared Strength: Exploring Cross-Cultural Christian Partnerships, eds. Beth Birmingham and Scott C. Todd (Colorado Springs, CO: Compassion, 2010), 59.

7

John Driver, “The Kingdom of God: Goal of Messianic Mission,” dans The Transfiguration of Mission: Biblical, Theological, and Historical Foundations, ed. Wilbert R. Shenk (Scottdale, PA: Herald, 1993), 86.

8

Andrew F. Walls, The Cross-Cultural Process in Christian History: Studies in the Transmission and Appropriation of Faith (Maryknoll, NY: Orbis, 2002), 77.

9

Emmanuel Katongole, “Mission and the Ephesian Moment of World Christianity: Pilgrimages of Pain and Hope and the Economics of Eating Together” Mission Studies 29, no. 2 (2012): 183–200.

10

Samuel Escobar, “The Global Scenario at the Turn of the Century,” dans Global Missiology for the 21st Century: The Iguassu Dialogue, ed. William David Taylor (Grand Rapids, MI: Baker Academic, 2000), 34.

11

René Padilla cité par Milton Acosta “Power Pentecostalisms: The ‘non-Catholic’ Latin American church is going full steam ahead—but are we on the right track?” Christianity Today (July 29, 2009), https://www.christianitytoday.com/ct/2009/august/11.40.html.

12

Philip E. Okeyo, “A Word from Kenya,” dans Forward in Faith: History of the Kenya Mennonite Church; A Seventy-Year Journey, 1942–2012, eds. Francis S. Ojwang et David W. Shenk (Nairobi, Kenya: Kenya Mennonite Church, 2015), 8.

13

John Driver, “Messianic Evangelization,” 200.

14

David A. Shank et James R. Krabill, Mission from the Margins: Selected Writings from the Life and Ministry of David A. Shank (Elkhart, IN: Institute of Mennonite Studies, 2010), 159–67.

15

David Yoder Neufeld, Common Witness: A Story of Ministry Partnership between French and North American Mennonites, 1953–2003 (Elkhart, IN: Institute of Mennonite Studies, 2016), vii.

16

Neufeld, 154.

17

C. Arnold Snyder, Following in the Footsteps of Christ: The Anabaptist Tradition, Traditions of Christian Spirituality (Maryknoll, NY: Orbis, 2004), 27.

18

Escobar, “The Global Scenario at the Turn of the Century,” dans Global Missiology for the 21st Century: The Iguassu Dialogue, ed. William David Taylor (Grand Rapids, MI: Baker Academic, 2000), 43